miércoles, 16 de diciembre de 2015

« De l'esprit des lois » (1748) ou la synthèse impossible
« Newton a découvert les lois du monde matériel : vous avez découvert, Monsieur, les lois du monde intellectuel » (lettre de Charles Bonnet, 14 novembre 1753).




La rationalité de l'histoire fait que les lois et les usages, même les plus aberrants pour la raison occidentale moderne, ont un « esprit ». Vingt ans de lecture, d'observations et de méditations ont convaincu Montesquieu que les hommes n'étaient pas « uniquement conduits par leurs fantaisies ». Échappant au double écueil du dogmatisme et du pyrrhonisme, le philosophe du droit s'emploie donc à expliquer la raison des choses. Tâche immense où s'épuise l'enthousiasme intellectuel d'un homme devenu à demi-aveugle : la genèse tourmentée de l'ouvrage, les tâtonnements de sa composition en attestent la difficulté. Mais on a trop parlé, dès 1748, du « désordre » l'Esprit des lois. À défaut d'un plan rigoureux, une lecture attentive découvre dans les trente et un livres, dans la succession déconcertante des chapitres, réduits parfois à quelques lignes, dans le miroitement d'un style lapidaire qui va de l'épigramme à l'anaphore lyrique la « chaîne secrète » d'une pensée souple et nerveuse, soucieuse de tout embrasser et de tout comprendre. Pionnier d'une science nouvelle, comme l'ont montré tour à tour A. Comte, E. Durkheim, G. Gurvitch, S. Cotta, R. Aron et L. Althusser, Montesquieu est le grand précurseur de la sociologie moderne : le premier à concevoir l'ensemble du corps politique comme une totalité dont tous les éléments – climat, économie, mœurs, institutions – agissent les uns sur les autres selon une logique rigoureuse. Ce serait cependant fausser le « dessein de l'ouvrage » que d'y chercher seulement l'amorce d'une science positive des faits sociaux. Pour Montesquieu, la justice et le droit naturel sont partie intégrante de la « nature des choses » : la nécessité de la nature se confond avec la finalité d'un ordre orienté vers le meilleur. Mais cette démarche optimiste se heurte à des institutions – l'esclavage, le despotisme, etc. – dont la raison la plus compréhensive ne parvient pas à prendre son parti. Alors, l'idéalisme conservateur se mue en idéalisme critique. Toute l'ambiguïté politique del'Esprit des lois est commandée par sa double visée méthodologique, à moins que la première, à l'inverse, n'explique la seconde.
Dès 1748, le « libéralisme aristocratique » de Montesquieu a été l'objet d'interprétations contradictoires. Auxixe s., l'auteur de l'Esprit des lois est passé abusivement pour le parrain du système parlementaire. En réalité, il n'a été ni « l'opposant de droite » à la monarchie absolue (L. Althusser), ni le théoricien du capitalisme mercantile (Etiemble) dont on parle de nos jours. On ne résume pas en une formule univoque l'œuvre aux facettes multiples d'un homme qui a su unir de façon aussi exemplaire, dans le cadre que lui imposait la société de son temps, la passion de la raison et la passion de la liberté.

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